Le cri de la jungle

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La discothèque s’appelle Peace & Love, nous sommes le samedi 12 septembre, et nous nous préparons à célébrer le Nouvel An éthiopien dans la New Jungle, à Calais, en France. Nous sommes conduits au Club – bâti avec des bâtons en bois, du plastique du Secours Catholique et du ruban adhésif – à travers les mains d’un Afghan qui porte des noms variés – il est Ibrahim, qui peut se transformer en Rashid, selon l’interlocuteur.

Nous sommes trois journalistes brésiliens qui marchons ensemble, rencontrés par hasard et par le désir de découvrir cette citadelle de réfugiés de population oscillante (environ 3,2 millions d’habitants), dont la comptabilité suit la progression arithmétique efficace du manuel de survie de la jungle : le plus de barbelés et de violence policière à la frontière, le plus de migrants de toutes ethnies, races et nationalités dans le refuge.

Refugiés installés à l’entrée du camps de la New Jungle. Ci-dessus, la longue clôture de barbelés qui sépare la Jungle du ferry de Calais, à destination de Londres. (photos, Marcia Bechara)

Notre hôte est François Guennoc, un des coordinateurs de l’ONG Auberge des Migrants, que j’ai contacté lorsque j’ai commencé à préparer ma rencontre avec cet énorme inconnu qui est l’Autre, qui sont tous les Autres, ces continents que je n’ai jamais visité, cette prosodie, belle et effrayante. Mais pas l’Autre de l’Europe occidentale, l’Autre rempli de Voltaire & d’Illuminismes – je cherche l’Autre des grottes de Kaboul, des ruines d’Aleppo, cet(te) Autre qui flotte, mort(e), dans le bleu de la Méditerranée.

Le “quartier” des soudanais dans la New Jungle

De cet enfer qui c’est l’Autre (Sartre, mon vieux!) nous aussi en faisons partie, électrons libres en route asymétrique: Marília est une journaliste de Bangu, Rio de Janeiro, en pleine recherche pour son doctorat sur l’Immigration à Bruxelles; Sandro est un journaliste de Campo Grande, Rio de Janeiro, actuellement basé à Moscou, qui voyage, les pieds ailés comme (le dieux grecque) Mercure, en train de couvrir des conflits partout dans la planète; je suis Marcia, journaliste de Belo Horizonte, Minas Gerais, dix années de plus que mes collègues, la cheville gauche qui hésite après deux chirurgies et une longue rééducation, et je fais semblant de n’est pas trop me déranger avec ce rendez-vous émouvant avec la jungle.

Dans le bidonville de la New Jungle, 25 % des réfugiés qui rêvent d’entrer au Royaume Uni proviennent de la corne de l’Afrique, tournée vers l’océan Indien : l’Érythrée, l’Éthiopie, la Somalie ; 35 % provient du Soudan et d’autres anciennes colonies de la Grande-Bretagne, comme le Ghana et le Nigéria ; 30 % sont asiatiques Afghans, Pakistanais, Iraniens, Irakiens et Kurdes. Le Syriens, dont l’immigration était relativement faible, sont de plus en plus nombreux dans la Jungle.

La nouvelle jungle est une sorte de version miniature de la planète Terre : les réfugiés ont tendance à s’organiser en communautés-états, structurées par des origines-religions. Les seuls chrétiens sont les orthodoxes de la péninsule du nord-est de l’Afrique, comme ponctue François Guennoc sur son blog chez Mediapart. Une majorité anglophone définit dans une large mesure le Royaume Uni comme destination. Mais, en fait, ils font tous la bouche fine envers la France, parce qu’ici, ils sont déjà au courant : il n’y a pas d’emplois et l’ambiance est loin d’être celle du “pays des droits de l’homme”.

L’Afghan Ibrahim (ou Rachid) à l’intérieur de la tente-restaurant Chicken & Soup, avec le drapeau Afghan au fond

La discothèque s’appelle Peace & Love, nous sommes le samedi 12 septembre, et notre Mata Hari afghane, l’Ibrahim, le Rashid (le Mohammed, peut-être?) – m’explique, pendant qu’il me passe le narguilé (dont le vapeur j’aspire, convaincue que ça soit du haschisch), la différence entre les Taliban et les fondamentalistes radicaux de Daech, qu’il déteste : “Les talibans sont des locaux, comme nous. Ils ne s’attaquent pas aux femmes”.

Ibrahim-Rashid-Mohammed défend Poutine avec la même euphorie presque adolescente: “il dit la vérité. Il parle comme un bonhomme”. Ibrahim-Rashid-Mohammed s’exprime dans un bon Français et même dans un Anglais compréhensible. Ibrahim-Rashid-Mohammed vit dans la région il y a déjà sept ans, et a vécu trois arrestations par la police européenne. Il fait partie de la population « flottante-stable » de la nouvelle Jungle, ces gens qui se sont tellement mélangés à la condition de la frontière, à l’état de la marge, le hors-la-Loi, jusqu’à ce que ce lieu géo-métaphysique soit son nouvel habitat, dont ils craignent quitter.

Le narguilé n’a aucun haschisch à l’intérieur, mais un assaisonnement d’herbes douces. Ibrahim-Rashid-Mohammed, le réfugié qui est devenu un citoyen de la nouvelle Jungle, est un séducteur gentil, voilà. Avant de nous amener au étonnant Club Peace & Love, il nous invite à manger un plat typique Afghan dans le “café” Chicken & Soup (sous-titres en arabe). C’est lui qui invite, nous sommes interdits de payer. Nous mangeons ensemble, la sauce fortement épicée est divine.

Le plat, une sorte de beignets de poulet frits, nous est servi dans un service en plastique par le cuisinier Afghan, un garçon mince, brune, avec des incroyables yeux bleus, et qui refuse catégoriquement de dire un mot qui soit en Français. Et il nous tourne le dos si on oublie le code et répondons avec un « merci ». « Il déteste la France et les Français, », explique Ibrahim. « Parlons-y, mais en anglais ». Thank you, guy.

Pas de drogues. Pas de provoc. Rien n’est ce qu’il semble être, et la New Jungle s’impose avec ses paradoxes pour exploser tous les codes, quels qu’ils soient. Tout est « devenir », disait l’incroyable Deleuze. Tout est en train de devenir. Rien “n’est”.

Ilyas, Elias, 21 ans, étudiant éthiopien

La discothèque s’appelle Peace & Love, nous sommes le samedi 12 septembre, et les enceintes jouent en puissance Bob Marley ou Bobby McFerrin (“dont worry, be happy”). Au deuxième tour de bière (Ibrahim a payé le premier, nous avons voulu continuer dans le partage) je me souviens d’Ilyas, alias Elias, jeune éthiopienne 21 ans, étudiant en droit, réfugié politique de son pays, dont la famille s’avait réunit pour payer son long et pénible périple. “J’ai choisi l’Angleterre pour une raison simple, l’Anglais est la langue (étrangère) que je connais. Je souhaite reprendre mes études de droit là bas, c’est mon but, c’est pour ça que je travaille, » explique Elias (version chrétienne), a.k.a. Ilyas (version musulmane, selon il nous explique), avec un anglais presque parfait.

Des nombreux blessés et des nombreuses béquilles à Calais : presque toute tentative de pénétrer le tunnel sous la Manche tue ou mutile

Le travail d’Ilyas est comme celui de Sisyphe, le mythe grec qui roule des pierres sans arrêt jusqu’au sommet d’une montagne : de temps en temps, il retrouve un groupe de ses compatriotes à l’entrée du tunnel sous la Manche, pour essayer de passer aux domaines de la reine. Parmi les morts et les blessés, à chaque échec ou lorsque les provisions s’épuisent, chaque fois que les pierres reculent vers le bas de la montagne, le groupe rentre à la New Jungle, lieu qui les procure du repos pendant qu’ils cherchent un nouveau plan pour réussir la prochaine invasion.

Le voyage payé par la famille d’Ilyas a couté cher : l’Éthiopie, le Soudan, la Libye, l’Egypte, puis 17 jours sur un bateau pour arriver à Catania, en Sicile, Italie, une traversée à 2500 dollars. Seulement pour passer du Soudan vers l’Egypte, il avait déjà payé 900 dollars.

Ce qui me touche chez le jeune Ilyas n’est pas ce genre de romantisme morbide, ce qui me touche ne vient pas d’une espèce de complaisance passive par rapport à cet état de calamité. Rien de ça me fascine. Ce qui me bouleverse c’est la façon dont le doux Elias manipule un vieux jeu de cartes pendant son récit: roi de cœur, Dame de cœur, trois de cœur. Et la manière subtile qu’il bégaie, entre hésitation et émotion, au début de certaines réponses.

Je demande à Ilyas et ses amis qu’ils chantent une chanson éthiopienne pour le site web brésilien FAROFAFÁ. J’insiste. Mais personne ne veut être photographié ou filmé dans la jungle. Elias (et sa douceur) finit(ssent) pour accepter ma proposition. Il cherche une chanson sur son portable Samsung, histoire de chanter avec un playback. Cette fois-ci, personne ne bégaie dans la petite tente d’Ilyas.

Nous sommes le 12 septembre, c’est la nouvelle année éthiopienne, et nous sommes chaleureusement invités : « Nous allons allumer un grand feu, faut pas rater ça ».

Jeunes kurdes demandent d’être pris en photo dans le couloir principal de la New Jungle
Jeunes africains de l’Érythrée

La discothèque s’appelle Peace & Love, nous sommes le samedi 12 septembre, et presque aucune femme m’adresse la parole, surtout si j’ai l’intention de les interviewer. Ça m’énerve, l’Histoire qui est toujours raconté par les hommes, pour les hommes.

La jeune éthiopienne Yusra Edo, 20, prépare des pâtes dans une cuisine improvisée

La jolie fille coiffée avec un turban qui m’a cherché en criant« Sister! » et qui m’a conduit à la tente d’Elias a disparu: j’ai perdu sa trace, je ne la retrouve nulle part. Lorsque je quitte la tente éthiopienne d’Elias, je vois Yusra Edo, 20 ans, qui prépare des pâtes sur un petit feu improvisé sur le terrain. Elle sourit un peu, gratte un peu l’anglais, mais refuse d’être photographié ou de me parler. Je sais qu’elle est venue pour accompagner son mari.

François Guennoc m’ avait déjà expliqué que la plupart d’entre elles s’installent au « camp des femmes » Jules Ferry, ancienne colonie de vacances de la ville de Calais, aujourd’hui centre d’accueil pour les réfugiés. J’ai finalement obtenu l’autorisation pour entrer dans le Jules Ferry le dimanche 13 septembre. Le centre est le seul endroit où, inversant la logique du dehors-de-la-jungle, tous les réfugiés se déplacent librement; nous – journalistes, étrangers, curieux ou même bénévoles – sommes absolument contrôlés.

A l’intérieur, 115 femmes peuvent dormir sur des matelas et prendre leur douche, avec leurs enfants. Autres 85 filles sont sur la liste d’attente. Il y a encore 500 prises pour recharger les portables, 60 douches, une infirmière disponible pour hommes et femmes et 2600 repas distribués par jour à tous et toutes dans la Jungle. Contrairement à ce que je m’attendais, les femmes sont toutes très jeunes, la plupart étudiants et, étonnamment, elles sont venues toute seules, elles ont voyagé seules, se sont enfui toutes seules. Sans père, sans mari, aucun frère. Elles viennent de l’Afrique : L’Érythrée, l’Éthiopie et le Soudan. Et elles n’ont pas le moindre envie d’en parler

Je laisse tomber car je n’arrive même pas à imaginer ce que c’est d’être dans leur peau.

Les éthiopiennes Gigi, 27, et Saba, 23, les deux uniques femmes qui m’ont autorisé à les prendre en photo pendant tout le week-end à Calais

La peur de se faire photographier ou médiatiser en quelque sorte est largement partagée dans le « quartier » syrien, composé d’hommes de classe moyenne ou moyenne-haute, fuyant la guerre. Les Syriens ne voyagent pas avec leurs familles et peuvent avoir une réaction extrêmement agressive de méfiance à l’égard d’un portable (comme le mien) pointant vers leurs tentes.

Dans le « quartier » syrien, personne ne veut être photographiée
L’ingénieur syrien Moayad, 28, ne veut pas montrer son visage, mais affiche avec joie les nouveaux baskets acquis en France, après avoir laissé derrière lui trois bottes dans le périple Syrie-Turquie-Grèce-Macédoine-Hongrie-Autriche-France

Mais je suis un journaliste chanceuse et je tombe direct sur Moayad, ingénieur civil âgé de 28 ans, nouveau-arrivé à Calais. Avec le regard perplexe qui caractérise les débutants de la Jungle, il est prêt à me parler, mais pas avant de me « interviewer » une bonne demi-heure sur le Brésil (pays qui a reçu près de 2000 syriens depuis 2011 selon le CONARE, l’agence brésilienne pour les réfugiés), dont il semble être très intéressé. Je réponds, en essayant de ne pas perdre la concentration avec la fatigue et le froid (Oui, il fait très froid en ce moment à Calais). L’épopée de Moayad est l’épopée d’un peuple, c’est presque une légende, c’est une partie décisive de notre légende contemporaine, entre civilisation et barbarie.

De confession musulmane, il vient de Dier al-Zoor, en Syrie orientale, une de nombreuses villes envahies par l’Etat islamique. Pour s’évader, c’était imperatif de faire pousser la barbe et de laisser son passeport à la maison: « Les hommes sans barbe ou qui portent des passeports sont immédiatement capturés et punis par les forces d’ISIS (l’État islamique), “dit-il.

« J’ai de la chance » dit Moayad, qui a franchi la frontière turque à pied, puis a payé 1250 dollars pour un bateau surchargé avec des gens qui quittaient la Turquie vers l’île de Koos, en Grèce. “Le bateau qui a parti juste avant nous a coulé. Certaines personnes ont retourné en nageant vers la plage en Turquie. D’autres ont monté sur notre bateau, “dit-il.

Le prix de ces traversés est variable selon le “dealer” qui négocie le “voyage”. « J’ai payé 1250 dollars, mais de nombreuses autres personnes ont payé 1300 euros chacun ». Sur l’île de Koos, où il est resté neuf jours, Moayad était enregistré, comme le stipule la loi européenne pour les demandeurs d’asile : tout le monde doit remplir les formalités administratives dans le pays d’arrivée. Sur l’île grecque, avec lui, encore autres 1 500 syriens, ainsi que des migrants en provenance d’Afghanistan, du Mali, du Pakistan et de l’Irak.

Epicerie pakistanaise

En Athènes, ils sont allés en Macédoine pour prendre un train de la Croix-Rouge à la frontière serbe. Une marche d’environ six kilomètres sur le chemin de fer et puis un taxi (250 euros) qui les ont amenés à la gare routière, où ils ont pris un bus pour Belgrade, la capitale serbe. « Drôle de pays. J’ai un souvenir bizarre », dit Moyad. A partir de ce moment commence la partie plus dangereuse de la traversée : la Hongrie et puis l’Autriche. En Hongrie, la panique d’être « estampillés » par la police hongroise, la peur d’être conduits tout droit à une sorte de “centre de réfugiés” et de ne jamais s’en sortir.

La étonnante carte de la New Jungle doit être facile à déchiffrer pour ceux qu’ont fait des longs parcours comme le syrien Moayad

Finalement, ils ont réussi à échapper à la police en Budapest et ont atteint la frontière avec l’Autriche, où ils ont monté dans un nouveau train de réfugiés, vers Vienne. Depuis Vienne, un train « normal » pour Paris. « Je me promenais dans les rues de Paris. C’était chouette”, relate Moayad, entre un souvenir et autre. Depuis Paris, Calais. Moayad a perdu trois bottes pendant la longue traversée: ses chaussures se sont complètement éclatées à cause de la randonnée et Moayad affiche avec joie ses nouveaux baskets bleus achetés en France.

Un camarade arrive en criant au remarquer mon portable pointée sur le quartier syrien. Moayad monte le ton en Arabe et rassure l’homme, qui m’avoue, finalement, cette fois en Anglais: « nous ne voulons pas que nos familles nous voient comme ça, elles nous regardent sur internet et s’inquiètent beaucoup ».

Vêtements d’enfants sèchent au saveur du mauvais temps de Calais

Du milieu de nulle part, comme d’habitude dans la nouvelle Jungle, arrive Toby, un anglais de 30 ans, sur un vélo, avec une pelle sur le dos. Il vient creuser une fosse septique pour les déchets au milieu des tentes syriens. Ses joues et son nez rosés par le soleil d’août. Moayad intervient: “cet une bonne âme. Hier il a donné à manger à ces deux là, qui crevaient la faim”. Entre un voyage et autre sur son vélo, Toby me raconte qu’il est enseignant dans une école maternelle, à Londres. « Suis ici pour aider, pas pour parler » et il repars rapide sur son vélo pliable, plein d’ustensiles. Oh, et “no photos, please. »

La discothèque s’appelle Peace & Love, et il y a exactement 14 ans et 1 jour que l’Al-Qaïda de Ben Laden a commandé (avec la connaissance passive et stratégique du haute comando américain, disent les mauvaises langues) l’attaque contre les tours jumelles à New York, et l’arabe demeure le nouveau noir. The Arab is The New Black. Notamment en France. Lorsque quelque chose – un service, un quartier, un repas, un incident violent – est considérée mauvaise, nous écoutons certains Français qui disent: “c’est des arabes”- “service d’arabes”, comme nous dirions “pacifiquement” “service de black” au Brésil.

La discothèque s’appelle Peace & Love, je fume un narguilé qui dégage un parfum d’herbes fraîches et la super écrivaine sénégalaise Fatou Diome a déclaré dans une émission de télévision française (ici, avec des sous-titres en Brésilien), face à un débatteur de l’extrême droite française blanche :

“Monsieur, je vois que vous êtes bien habillé, bien nourri. (…) Si vous mouraient de faim quelque part, peut-être votre famille serait heureux de savoir que vous pourriez aller faire de l’argent ailleurs, pour aider à nourrir le reste. (…) Vous me laissez finir… (…) Votre pays devient schizophrène. Vous ne pouvez pas sélectionner des gens comme ça :les étrangers utiles et les mauvais étrangers».

La discothèque s’appelle Peace & Love, et l’Allemagne de la chancelière Angela Merkel a fait preuve d’une intelligence stratégique (au contraire de la France), en renversant son rôle de prédateur de la Grèce et d’Espagne, au ouvrir leurs portes aux réfugiés. Angela se paye des selfies avec les réfugiés face aux cris des néo-nazis à Dusseldorf. En France, le maire de Béziers, du parti Front National, représentant de l’extrême-droite française, fait chasser les immigrés syriens qui campaient dans les bois, tout en portant les couleurs « Bleu, Blanc, Rouge », les couleurs de la (fière) République nationale, entourée d’officiers de la Gendarmerie et des chiens policiers.

Comme dans un scène de la télénovela brésilienne O Bem-Amado, c’est une France qui nous apprend à haïr dans toutes ses couleurs, en directe sur le petit écran. La discothèque s’appelle Peace & Love et l’Hongrie vient de finir la construction de la clôture à barbelés, trois mètres de haut, dans la frontière avec la Serbie, bloquant le soi-disant “couloir des Balkans” pour les réfugiés, avant de commencer la répression, comme Reuteurs nous fait savoir à l’instant.

La discothèque s’appelle… Comment elle s’appelle?

Une photo volée dans le Club Peace & Love, la discothèque “paix & amour” des habitants de la New Jungle

La discothèque s’appelle Peace & Love, je ne sais plus quel jour nous sommes, mais je parle avec des blessés parmi les différentes personnes sur béquilles qui ont tenté de traverser le tunnel, le canal, direction Angleterre. Je vois d’un coup deux beaux gosses, des jeans et des vestes à capuche : Azar, 23 ans et Dlzar, 26 ans, tous les deux irakiens, tous les deux étudiants en ingénierie.

Étudiants en ingénierie, Azar, 23 ans et Dlzar, 26 ans, rêvent de donner une suite à ses études au Royaume-Uni

Azar n’a pratiquement aucun accent en Anglais. Pourquoi parles-tu de cet anglais parfait?, je veux savoir. « Une longue histoire », il répond. Vous avez laissé des frères et des soeurs en Irak ? Silence. “J’ai eu. Une sœur ». Silence. Elle a été assassinée?, je lui demande, la journaliste brésilienne accablée. « Oui ». État islamique ? “Oui. Dans la rue. »

Azar et Dlzar proviennent de la ville de Musl, récemment prise par les forces de Daech. “L’Etat islamique vole les chars de l’armée irakienne. Et d’où pensez-vous que viennent les chars de l’armée irakienne ? De l’armée américaine, bien sûr. Ils sont indestructibles, beaucoup plus forte que les autres. Les kurdes essaient de résister, les peshmergas, mais ça ne dure pas longtemps, ” raconte Azar avec son anglais parfait.

Il arrive le moment de dire au revoir, je fonds en larmes lorsque je dis, Azar, peut-être que nous nous retrouverons encore dans les parages, mais il me répond: “Non. On se retrouvera, mais ça sera de l’autre côté “.

Les réfugiés font la queue pour recevoir des dons qui arrivent d’ailleurs, une pratique courante dans la vie quotidienne de la New Jungle

Ce qui me touche c’est la reconnaissance de ce portail qui semble exister, comme si Azar et moi habitions dans deux films différents de science-fiction; dans le mien j’ai un document qui me permet d’aller, venir, de vivre et de mourir comme je le souhaite; dans le sien, un scénario où il a dû laisser son passeport chez lui, en Irak, en errant sans identification et sans quelque choix d’aller, venir, de vivre et de mourir comme il le souhaiterait. Nous habitons le même espace-temps, Azar, Dlzar et moi, mais une sorte de portail nous sépare.

Les vêtements sèchent au ciel de Calais, flottant sur un point non-équidistant de l’espace-temps entre les réfugiés dans le monde et les paysans sans terre et sans abri des “Brésils

Dans le rythme de cette ballade, je me laisse perdre dans les avenues, les rues et les ruelles de la New Jungle. Je n’ai aucune crainte. Je demande de m’asseoir à la porte de la mosquée. Il y a six mosquées dans ce “continent”, et une grande et impressionnante église chrétienne, la Notre Dame de la New Jungle, construite avec du plastique, du ruban et du bois.

À l’intérieur : la Notre Dame qui n’est pas celle de Paris
Dehors : l’église chrétienne, la Notre Dame de la jungle

Il y a même une bibliothèque et une école. Des tentes de médecins sans frontières. Des magasins qui vendent des baskets et chaussures à 15 et 20 euros, du redbull, des boissons non alcoolisées, des bières, des cigarettes. Un afghan souriant, portant une bonne paire de docksides à la française, me demande si ça lui va. Je dis oui. En riant, il répond: “peut-être que ça t’irai bien, à toi”. Les magasins sont tenus par des réfugiés, pour les réfugiés. Aucun sujet n’est venu pour me casser les couilles. En fait, c’est moi qui dérange.

Une des plusieurs mosquées musulmanes de la nouvelle Jungle

Le dimanche, le 13 septembre, il y a eu une messe dans l’église chrétienne. Il me faillait absolument y aller : c’était grâce à une photo de Reuters de cette église que j’ai décidé venir à Calais. La liturgie est chantée dans une langue qui, selon mes amis brésiliens, doit être un dialecte éthiopien, étant donné que les Éthiopiens sont la plus grande communauté chrétienne dans la New Jungle.

Plus tard, assise dans un fauteuil sur la porte d’une mosquée, un générateur électrique rugissant à mes côtés, des hommes de toutes les couleurs et croyances se plient pour charger leur portable au milieu de cet endroit qui me rappelle tellement les scénarios post-bombe atomique du dramaturge et réalisateur anglais Edward Bond, critique vorace de sujets tels que le capitalisme, la violence, la post modernité et la technologie.

Chaise
Mosquée
Vélo

Un autre groupe d’hommes se plie sur des petits cailloux pour se raser, faire un shampooing, brosser les dents, remplir le gallon d’eau, ces choses que les gens font dans l’intimité de leurs maisons. Je ne peux pas m’empêcher de penser que, dans la nouvelle Jungle, notre intimité est publique. Notre douleur est aussi publique, notre perplexité, nos peurs et nos échecs.

Le linge qui sèche sur l’autoroute

Mais les amis qui ont franchi le portail, qui ont traversé le tunnel, ceux qui se sont enfuis cachés dans les ferrys, les amis qui ont entré au Royaume-Uni, ils envoient des nouvelles de là bas, à travers les portables et smartphones. Dans la New Jungle, on fait des feux d’artifice, comme dans la nouvelle année éthiopienne, cette incroyable Copacabana à Calais, pour célébrer un avenir avec moins de passeports et, certainement, avec des portes plus ouvertes. À tous.

Liberté d’aller et de venir

[Marcia Bechara, journaliste, écrivain et performeuse de 42 ans, vit et travaille à Paris depuis 2009. Chercheuse dans le domaine du théâtre, elle a soutenu son M2 en 2014, à l’Université Sorbonne Nouvelle, à Paris, sur la dramaturgie de la guerre, la mémoire de l’écriture migrante dans l’œuvre du metteur en scène, auteur et comédien franco-libanais Wajdi Mouawad. Elle a publié trois livres de fiction : Méthodes extrêmes de survie (Publisher Brasil, 2009), La maison des fauves (7Letras, 2007) et Allégorie pour Dinorah (Éditions Mazza, 1994). Free-lance collaboratrice pour Radio France Internationale à Paris, Marcia Bechara est aussi traductrice de l’écrivaine française Virginie Despentes : King Kong Théorie (Éditions Grasset, 2006) sera publié au Brésil en octobre, chez N-1 Edições.]

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Márcia Bechara é jornalista, escritora, atriz e pesquisadora em artes cênicas pela universidade Sorbonne Nouvelle – Paris III. Publicou "Métodos Extremos de Sobrevivência" (Publisher Brasil, 2009), "Casa das Feras" (7Letras, 2007) e "Alegoria para Dinorah" (Mazza Edições, 1996). É jornalista colaboradora da redação brasileira da Radio France Internationale (RFI), em Paris, e correspondente internacional para FAROFAFÁ, Opera Mundi e Suplemento Pernambuco.

2 COMENTÁRIOS

  1. E muito triste e doloroso a vida dos refugiados.
    Na minha opinião , so quem sabe a intensidade de uma DOR e que estar com ela.
    Não entendi o por que esta materia estar na lingua francesa .
    Milhões de brasileiros não sabem nem a sua propria lingua .
    Analisem , milhares de brasileiros vão assistir e ouvir musicas de cantores ingleses e ou norte-americanos em varios festivais .
    A grande piada e : NÃO entendem nada ,porque não sabem nada de inglês .
    Saude , Sucessos e Sorte para nos.
    Abraço sincero.

    Ito Cavalcanti
    California , U.S.A.

  2. Uma cena muito triste e lamentavel e que me fez chorar, uma criancinha de 3 anos que morreu afogada.
    E outra que me deixou revoltado, uma cinegrafista ter derrubado um pai com seu filho nos braços.
    E tambem a maneira como “distribuiram ” a comida aos refugiados.
    A cena que me emocionou e fique feliz, uma criancinha dando um biscoito a um policial.
    Que mundo para ter tantas pessoas perversas.
    E pouquissimas boas.
    O amai-vos uns aos outros , e uma piada de mau gosto .
    O ajudai-vos uns aos outros , e lindo , porem, e dificilmo.
    Saude, Sucessos e Sorte,para nos.
    Abraço sincero.

    Ito Cvalcanti
    California , U.S.A..

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